LIBAN : Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur Ashraf Rifi, Ministre de la Justice du Liban.
À Son Excellence Monsieur Ashraf Rifi, Ministre de la Justice du Liban.
La Fédération Euro-méditerranéenne contre les Disparitions Forcées souhaite attirer l’attention de Son Excellence sur les poursuites judiciaires pour « diffamation » engagées à l’encontre de Madame Marie Daunay et Monsieur Wadih Al-Asmar respectivement Présidente et Secrétaire général du Centre Libanais des Droits Humains (CLDH). Cette plainte faisant suite à la publication le 10 février 2011 d’un rapport intitulé « Détention arbitraire et Torture au Liban : L’Amère réalité du Liban », nous avons été surpris qu’elle n’aboutisse pas à un non-lieu dès la première audience publique du procès tenu le 17 mars dernier devant le tribunal des publications de Baabda.
Le Centre Libanais des Droits de l’Homme, membre de la Fédération euro-méditerranéenne contre les disparitions forcées (FEMED), du Réseau Euro -méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH) et du réseau SOS torture de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a toujours honoré sa mission qui est la promotion et la protection des droits de l’Homme en documentant les violations graves des droits de l’Homme et en les répertoriant dans différents rapports qui sont rendus publics.
À cet effet, la FEMED rappelle que, en vertu du chapitre II du titre I de la Constitution libanaise sur « Les droits et devoirs des libanais », qui énonce en ses articles 7 à 15 l’obligation qu’a l’État de protéger un certain nombre des droits fondamentaux du citoyen et de libertés publiques, parmi lesquels la liberté de réunion et d’association ;
Considérant que :
Le Préambule de la Constitution libanaise énonce expressément l’engagement du Liban pour ce qui est du respect de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et du Protocole facultatif y référant et de la Charte arabe des droits de l’Homme;
La Déclaration sur les Défenseurs des Droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 Décembre 1998, dispose à son article premier "chacun a le droit, tant individuellement qu’en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international" et à son article 12.2 : " L’État prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration".
Étant donné que :
- La loi sur les publications promulguée en 1962 stipule que la liberté de la publication et de la distribution est garantie et ne peut être restreinte que dans le cadre de la loi et qu’en cela les restrictions à cette liberté ne peuvent être imposées qu’à titre exceptionnel, dans les cas où le pays fait face à une guerre extérieure, à une insurrection armée, à des troubles ou à des situations menaçant l’ordre public, la sécurité ou la sûreté publique ou lorsque surviennent des catastrophes;
- Le Liban a adhéré à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en 2000, qui fait obligation aux organes chargés d’appliquer la loi de respecter les droits de l’Homme et leur interdit d’utiliser une force excessive dans l’exercice de leurs fonctions et qu’en cela le Centre Libanais pour les Droits de l’Homme n’ a fait que dénoncer ces pratiques dans sa publication du 10 février 2011 de la CLDH, conformément aux droits et libertés fondamentaux que lui offrent la législation libanaise et le droit international ;
- Les traités internationaux auxquels le Liban est partie constituent une part importante de ses obligations internationales en ce sens qu’ils ont primauté sur les lois internes et doivent obligatoirement être appliqués par les tribunaux conformément à l’article 2 du code de procédure civile libanais.
Au vu de tout ce qui précède et considérant que ces pratiques sont abusives et ne consistent qu’à intimider les défenseurs des droits, la Fédération Euro-méditerranéenne contre les disparitions forcées vous exhorte à bien vouloir :
- Mettre un terme aux poursuites intentées contre les deux défenseurs des droits de l’Homme dans l’exercice de leurs missions ; en l’occurrence Madame Marie Daunay et Monsieur Wadih Al-Asmar.
- Reconnaître publiquement que la publication du 10 Février 2011 du Centre Libanais des Droits de l’Homme n’a rien de « diffamatoire ».
- Prendre les mesures appropriées, afin de garantir, en toutes circonstances, la sécurité et l’intégrité physiques et psychologiques de Madame Marie Daunay et de Monsieur Wadih Al-Asmar, ainsi que celles de tous les membres du Centre Libanais des Droits de l’Homme et des autres défenseurs des droits de l’Homme au Liban.
- Respecter et promouvoir les droits national et international relatifs à la protection des défenseurs des droits de l’Homme, de la liberté d’association et de réunion, de la liberté d’opinion et d’expression et du droit de tous à l’information.
Paris, le 09 juin 2015
Madame Nassera Dutour
Présidente de la FEMED